Dernière page, pour le moment, relative à la propriété, je veux ici explorer ce qui nous semble relever de la propriété, même si celle-ci devrait ne pas exister, et que -à on avis- on se trompe en prenant les choses pour ce qu'elles ne sont pas. |
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Ce trompeur sentiment de propriété,
qui nous lie à une image ou à un propos dont on croit être
l'auteur et le propriétaire, possède de bien réels
aspects apparaissant dans notre quotidien.
Tant que ces mots, cette image reste
'en notre propriété' (dans notre 'domaine', entre nos mains)
le sentiment de propriété peut sommeiller. A la limite nous
pouvons ne pas en avoir conscience, ne voir aucun des aspects qui signifieraient
que nous sommes particulierement attachés à cette image,
à ces mots. On peut même confier images et propos à
autrui sans que ne se reveille un quelconque sentiment de propriété.
Cela ce peut quand autrui n'en fait pas usage, se comporte comme un puit
noir où l'on aurait jeté ces images et propos, jeté,
confié.
Quand autrui commence à faire
usage de ces images et propos, souvent, les choses changent dramatiquement.
Souvent un mal profond nous atteint, pouvant nous faire croire que ces
images et propos étaient notre propriété, et car cet
usage (par autrui) a valeur de vol. Car là où il y a vol,
il y a propriété.
Pour les images, de toute manière
il est assez rare de voir autrui faire usage de photos qu'on lui a donne,
ou qu'on lui a laisse faire. Souvent quand autrui fait une photo de soi,
le seul résultat perceptible de ce vol potentiel, c'est de voir
un jour la photo arriver par la poste avec un mot de remerciement ou de
souvenir, pour vous faire don de cette image (l'image semble donc à
autrui, au moins dans sa tête). Le résultat est positif. Cependant,
il n'est pas rare que certains refusent de se laisser photographier. Ils
sont nombreux, et pour l'essentiel, je ne sais pas ce qui les gène,
mais parmi les éléments qui pourraient les géner il
y a celui-ci : que la photo qui est prise ne sera pus en leur possession
immédiate, que celui qui l'aura en main pourra agir comme s'il était
le propriétaire de celle-ci alors qu'il vous semble que le propriétaire
de l'image c'est celui qui se trouve sur l'image, vous. Que peut faire
un individu avec une image de vous ? rien, tout. La question n'est pas
de chercher le pire qui puisse être fait, non, le simple fait qu'il
puisse faire n'importe quoi semble effrayante. Cet inconnue relève
de l'angoisse, reveille des angoisses, angoisses d'autant plus puissante
que le support n'est pas limitatif. L'angoisse n'a pas besoin d'être
fondée pour exister.
Cela m'a toujours paru étrange,
mais il y a un culte de l'image, ou de l'absence de l'image dans de nombreuses
populations. Ainsi prendre une photo peut signifier voler une âme.
Pour d'autre, avec une photo on peut envouter un individu. Ainsi dans certaines
religions les images de la vie, ou des dieux, ou des individus sont interdites.
Aussi, je crois, il y a quelque chose de très profond en nous (plus
important chez certains, ou plus à fleur de peau) qui nous pousse
à vouloir être parfaitement maître de ce qui arrive
à son image, et cela entraine pour ceux qui ressentent cela très
concrétement une envie d'être propriétaire, au sens
le plus fort de ce mot, de son image. Dans ce cadre, la notion de propriété
s'impose naturellement.
Pour les mots, il arrive que l'on donne
quelques uns de ses propos à autrui, par exemple quand on lui écrit
une lettre (alors le don est physique), ou quand on lui parle (le don est
immateriel). Que ce passe-t-il quand autrui nous renvoie ces mots, ces
lettres, sous sa plume, avec son parlé ? Souvent c'est assez désagréable,
c'est pour souligner les incohérences du discours, les faiblesses,
rarement est-ce en hommage. C'est d'autant plus désagréable
que ces faiblesses et incohérences du discours avant qu'autrui les
exhibe, leur offrant une publicité qui n'était pas nécessaire,
nous les avions déjà malheureusement, souvent, observés.
Souvent, c'est malgrès nous que nous les avions laissé apparaitre
dans notre discours, parce que le temps et les contraintes de tout ordres
nous faisaient preferer un discours imparfait et humain où une idée,
esperions-nous, apparaissait, une intention, plutot que pas de discours,
une phrase à peine commencé, d'un propos impossible voulant
atteindre la perfection. Humains, trop humains, inégals et pleins
de defauts.
Même quand nous sommes heureux
de la forme, que l'idée a trouvé son expression, que le doigt
accusateur d'autrui est absent, retrouver -après quelques temps,
années- la trace de son 'travail' peut être bien pénible.
Et je n'ose penser aux étudiants et élèves qui voient
avec le retour de leur copie non seulement leur prose revenir à
eux après une semaine d'oubli, d'espoir, d'idéalisation,
mais de plus jugée, avec rigueur.
Les moyens de communication modernes
offrent d'autres sources (nouvelles) de désolation. Ainsi il est
d'usage (facile) de répondre à un courier éléctronique
en incluant le message d'origine de son destinataire. La aussi on retrouve
avec amertume (parfois/souvent) sa prose non pas telle qu'en notre souvenir,
mais telle qu'elle a du être. Pire, lorsque la réponse se
noie dans la citation du message initial, quand elle la découpe,
la prive de son intégrité physique en la tronçonnant.
Non seulement il est pénible de lire sa propre prose, mais lire
de tels message -faux dialogues- est difficile, par économie, assez
vite on saute les citation d'origine, mais celles-ci sont nécessaires
à la bonne compréhension de la réponse qui souvent
s'attache précisement au mots du message d'origine et non à
l'idée, et répond mot à mot. Et il y a encore pire,
quand, comme cela peut arriver sur une liste de diffusion (mailing-list)
ou un forum de discussion (newsgroup), l'on n'est ni celui qui répond,
ni celui à qui on repond. Sauter les tranches relatives au message
d'origine par économie devient désastreux, car ce message
d'origine, et l'idée qui y était défendue n'est pas
notre, et nous ne la possédons pas entièrement, ou pas du
tout, et la lecture des tranches restantes devient comme ces lectures machinale
de réponse à un problème d'echec dans un journal :
cryptique. A qui la faute, pour celui qui répond et qui a fait l'économie
d'analyser le texte original, de répondre à une idée
par une autre idée, sa réponse mot à mot lui épargne
l'écriture d'un vrai propos structuré, d'un vrai discours,
lui épargne l'effort de mémoire immédiate, lui assure
l'honnéteté intellectuelle de celui qui cite sans se tromper
ses sources, etc...
Malgrès tout cela, malgrès la souffrance que l'on peut ressentir à se relire, à revoir son image, malgrès l'angoisse qui nous éprend au moment de confier un propos ou une photo à quelqu'un, je ne crois pas que l'on doive croire que l'on est proprétaire de ces propos et images. On se comporte comme si, mais rien ne nous y oblige (à mes yeux). Il n'y aura pas vol, il n'y aura pas perte. On ne donne pas, on partage (partage de ce qui ne nous appartient pas).